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Mémoire interdite

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Dans son dernier souffle, Nathaniel Bartel, atteint d’une étrange maladie, tente de prévenir son frère Nathan du danger qui le guette. En découvrant le passé criminel de son jumeau, qu’il n’avait pas revu depuis de longues années, Nathan s’interroge sur les événements tragiques de leur enfance commune. Mais pourquoi ce sentiment d’être responsable de la dérive macabre de son frère jumeau le ronge-t-il à ce point ? La réponse est sans doute liée à une nouvelle vague de meurtres, signés de la main de Nathaniel, censé reposer en paix.

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"Mémoire interdite" est une réédition de mon premier thriller écrit en 2014 : "Le Miroir du Passé" (adaptation de l’un de mes scénarios), suivra alors le roman d'aventures autour du monde : "Le Secret du Sunbird" qui se déroule à la veille de la Seconde Guerre mondiale, à bord d'un avion fonctionnant à l'énergie solaire (autre projet de scénario datant de 1987). Par la suite, j’ai repris une autre idée de scénario qui datait de 2005 et que j’avais, à l’époque, intitulé « Johnny is dead », une comédie relatant la vie du chanteur Johnny Hallyday après sa mort, qui est alors devenu un roman en 2015 sous le titre de "Rockangeles", un délire de situations et de bons mots orchestrés par Gainsbourg et Johnny, des anges qui s’entendent bien pour mettre le feu au paradis. « Rockangeles » est sorti en 2017, quelques mois avant le décès du chanteur. Pour terminer ce tour d’horizon, mon quatrième roman (le plus récent) est un thriller psychologique fantastique sur fond de violence familiale et de maladies mentales – il est intitulé : « REFUGE ».

Extrait "Mémoire interdite" chapitre 5

 

Nathan entre dans l’immense hall, son paquet de cigarettes à la main. On le dévisage, on le juge. Un malade en fauteuil roulant s’interpose, un vieillard confus, pupilles dilatées par les médicaments, qui lui adresse des gestes obscènes, poussé par une infirmière blasée. Elle l’entraîne vers les ascenseurs. Nathan rempoche ses Craven sans filtre en arrivant devant le comptoir à l’accueil.

— Bonjour…

La réceptionniste hoche la tête sans même lever les yeux vers lui.

Nathan poursuit : Le docteur Goldman m’attend. Bartel. Nathan Bartel.

— Oui… Un instant… Elle l’interrompt d’un doigt autoritaire pour répondre à un appel. Je vous le passe…

Maquillée outrageusement, parfumée à l’excès, la quinquagénaire compose à la vitesse de l’éclair un numéro sur le clavier de son téléphone. Elle daigne enfin regarder Nathan et lui adresse un sourire professionnel. Lui se contente de tapoter nerveusement sur le comptoir.

— Monsieur Bartel est à la réception, docteur… Elle acquiesce trois fois tout en inspectant ses longs ongles mauves, puis raccroche le combiné. Le docteur Goldman va vous recevoir tout de suite. Deuxième étage, bureau 213.

Nathan, silencieux, opine et se tourne vers les ascenseurs. Sans presser le pas, il avance dans le gigantesque hall d’accueil effrayé à l’idée de ce qui allait se produire. Des années après la violente dispute, qui les avait brouillés, revoir Nathaniel raviverait les drames de leur enfance.

Patients, visiteurs et membre du personnel se croisent, se bousculent, se cognent. Imperméable à ce flux d’humanité chamarrée, Nathan entre sans réfléchir dans le premier ascenseur qui s’ouvre devant lui, suivi par un groupe d’infirmières complices qui le dévisagent en gloussant discrètement derrière leurs dossiers colorés. Les portes se referment. Il reste les yeux rivés sur le panneau de contrôle, sans même s’apercevoir que l’une des jeunes femmes, plus audacieuses que les autres, le fixe du regard. Il prend soudain conscience de l’odeur, une vague puanteur, mélange de désinfectant et de nourriture qui lui donne la nausée. L’ascenseur arrive enfin, la porte s’ouvre.

Nathan pénètre dans un long couloir où résonnent les râles de patients invisibles. Sur les murs immaculés, des paysages d’Afrique, familles d’éléphants ou gazelles en pleine course, succédané de décoration, ersatz de vie. À mesure qu’il avance, Nathan se sent oppressé. Il essaie de respirer, de se calmer. En vain. Il n’arrive pas à se libérer du fardeau qui semble peser des tonnes sur sa poitrine. À l’autre bout du long couloir, en contre-jour, une large silhouette vêtue d’une blouse s’extrait d’un bureau pour se diriger vers lui.

— Monsieur Bartel ? La voix grave résonne.

Nathan acquiesce, la gorge trop nouée pour répondre de vive voix. Le médecin s’arrête devant Bartel. Il le sonde, le dévisage, examine discrètement l’homme d’affaires blafard qui transpire à grosses gouttes.

— Je suis le docteur Goldman. Le praticien, trapu, replet, s’interrompt et fronce d’épais sourcils grisonnants. Vous allez bien, monsieur Bartel ?

Nathan opine mollement. Goldman fait la moue, hausse les épaules, et lui fait signe de l’accompagner.

 Ils pénètrent dans un nouvel ascenseur. Sans attendre, Goldman appuie sur un bouton. Nathan remarque soudain que l’homme en blanc manipule un stylo. Sans cesse, il le tourne et retourne entre les doigts. Le mouvement l’hypnotise et, éperdu, désorienté, il fixe la porte sous le regard professionnel du médecin.

— Vous ne l’avez pas vu depuis longtemps ?

Nathan acquiesce, toujours silencieux.

Goldman reprend : D’après lui, ça faisait quelques mois…

Nathan paraît surpris. S’agit-il de la remarque du spécialiste ou de son accoutrement curieux ? Bartel vient de découvrir le nœud papillon rouge et la chemise vert pomme de Goldman.

Mais son monologue continue : Vous savez, il n’a sans doute plus la notion du temps. Ce qui arrive souvent dans ce genre de situation.

Nathan sent qu’il doit répondre. Il sait que son malaise pourrait passer pour du détachement, voire de l’insensibilité. Il ne veut surtout pas qu’on puisse se faire une mauvaise opinion de lui. Alors, tête basse, il se force à regarder le médecin :

— De quoi souffre-t-il, docteur ?

Goldman finit par esquisser un sourire grimaçant, un  rictus, satisfait d’avoir enfin une réponse, un interlocuteur. Toutefois, pour lui, le plus dur reste à venir et il hésite.

— C’est difficile à dire.

Nathan relève le menton. Il affronte désormais le spécialiste, ses yeux clairs rivés sur ceux de Goldman.

— Je vous écoute.

— Votre frère semble avoir été comme usé par le temps. Ce n’est pas fréquent. Il paraît avoir vieilli prématurément.

— Comment ça, prématurément ?

À la sortie de l’ascenseur, les deux hommes empruntent un couloir, réplique exacte de celui qui distribuait l’étage inférieur.

— Vous connaissez la progéria ?

Nathan acquiesce, mais son expression trahit sa curiosité.

Le médecin reprend : Cette maladie génétique est extrêmement rare. Elle touche les enfants en bas âge et se caractérise par un vieillissement prématuré et accéléré. Les personnes affectées ont l'apparence et la physiologie d’un vieillard.

— La progéria ? s’étonne Nathan. Mais comment est-ce possible ? Ce n’est pas un enfant.

— Il en possède tous les symptômes… Goldman s’arrête brusquement devant une porte et sans plus de considération, la désigne à Bartel. Je vous laisse avec lui. Vous savez où me trouver.

Nathan contemple l’entrée de la chambre 66. La silhouette massive de Goldman disparaît au détour d’une petite salle.

Bartel hésite, il observe le couloir d’un côté, puis de l’autre. Une enfant chauve sort soudain d’une chambre et passe près de lui. Une cicatrice larde la moitié de son crâne. Elle lui offre son plus beau sourire – il parvient à le lui retourner. Il agrippe alors la poignée. Et pousse la porte.

La pièce est plongée dans la pénombre, le silence. Un mince rayon de lumière filtre entre les stores. Nathan découvre une silhouette prostrée, perfusée. Le bip des machines paraît assourdissant. Bartel, qui avance jusqu’au lit, reconnaît à peine Nathaniel. Ébranlé, ému, Nathan s’effondre sur une chaise. Il considère le visage de son frère jumeau et croit se voir lui-même, tel un vieillard aux portes de la mort.

 

Dans un champ de blé, balayé par le vent, les jumeaux, âgés de huit ans brandissent leur fusil en plastique. Une balle imaginaire frappe l’un des frères qui tombe et disparaît entre les chaumes.

 

Nathan émerge à peine de son rêve éveillé qu’il aperçoit le regard fixe, apeuré, de Nathaniel, posé sur lui. Un frisson le traverse.

— Nat… marmonne Nathaniel. Il esquisse un sourire. Ses lèvres sèches et ridées tremblotent.

— Nat… répète Nathan qui se lève aussitôt pour s’approcher du lit. Il dévisage son jumeau dans un état désespéré et s’en veut terriblement de ne pas trouver les mots appropriés.

— Plaisir de te voir… lâche Nathaniel dans un souffle.

— Que s’est-il passé ? demande Nathan, hébété.

— Je… pouvais plus… Excuse-moi… Excuse-moi…

— De quoi parles-tu, Nat ?

— Cesser…

Nathan s’approche, il tend l’oreille pour s’efforcer de distinguer les paroles presque inaudibles de son frère qui poursuit : Toute cette abomination, c’est…

— Qu’est-ce que tu veux dire ? Je ne comprends pas… Écoute, tu ne m’as pas donné de nouvelles depuis vingt ans… Il faut que tu me racontes.

Désorienté, hébété, Nathaniel regarde à présent vers la fenêtre occultée par un store. Il balbutie : Alors… ce n’était pas toi ?

— Quoi ?

Nathaniel examine de nouveau son jumeau. Il rive ses yeux sur ceux de Nathan et semble vouloir fouiller au plus profond de son âme.

— Quelqu’un cherche à me tuer… reprend-il d’une voix rauque et désespérée. J’ai cru…

— C’est ridicule, Nat. Tu es très malade. Le docteur Goldman a dit…

Brusquement, Nathaniel fait signe à Nathan de se taire, puis lève la main vers la fenêtre.

— Tu veux que j’ouvre le store ? demande Bartel, hésitant. Sur un geste insistant de son frère, il finit par le remonter.

À la lumière du jour, Nathan découvre les traits cadavériques de son jumeau. La peau blafarde, les veines bleues éclatées qui zèbrent entièrement le visage et les avant-bras, les yeux jaunes marbrés de sillons sanguinolents qui semblent s’enfoncer dans des orbites creuses. Nathan titube vers sa chaise.

— Qu’est-ce qui t’arrive, Nat… ? murmure Nathan, sidéré.

— Souviens-toi… Il est temps… Ne le laisse pas…

Nathan se penche de nouveau vers son frère, à demi persuadé que Nathaniel divague, qu’il hallucine sous l’emprise des médicaments qui s’écoulent depuis plusieurs semaines dans son corps.

— Parle-moi… Je t’écoute…

— « Roseraie »… l’arbre de vie… l’arbre…

— C’est quand on était gosses. Mon pauvre, tu délires.

— La cache… du pic-vert…

Nathaniel convulse. Nathan panique.

— Nat ? Attends ! Je préviens le docteur !

Nathan s’arrache de son siège, s’empare de la sonnette d’appel quand Nathaniel lui saisit la main d’une poigne étonnamment forte. Il tremble de tous ses membres, mais fixe Nathan droit dans les yeux.

— Pardonne-moi… Il m’a puni… Ne le laisse pas prendre ton âme… Ne le laisse pas, tu m’entends ?

— Tu n’as rien à te reprocher… Tu sais que tu n’as rien à te…

Nathaniel se raidit brusquement, son regard paraît s’échapper vers un autre monde. Il est parti.

— Nat… 

Le bras décharné retombe sur le drap blanc. Nathan détourne ses yeux embués vers la fenêtre. Il frotte son poignet douloureux et contemple le ciel embrasé de lumière.

Fin du chapitre 5

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