ROCKANGELESVersion 2020
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Rockangeles
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Bonjour à tous !
Comme pour chacune de mes histoires, et comme d'autres auteurs le font parfois, j'ai créé une bande-annonce de mon dernier roman, "Rockangeles". J'espère qu'elle vous plaira et que celle-ci ne manquera pas de vous donner l'envie de visiter mes anges un tantinet rock-n-roll, parfois rebelles et agressifs, mais également non dépourvus d'un certain humour. Il faut de tout pour faire un ANGE, n'est-ce pas ?
Vous trouverez une version papier à 18,65€ et la version ebook gratuite pour ceux qui ont la chance de posséder une liseuse kindle. Sinon, c'est pas l'Enfer : 3,39€ le ebook, pour s'éclater avec mon duo d'anges célèbres, Johnny et Gainsbarre.
Pendant que j'y pense, je tiens à préciser auprès des "mauvais penseurs", qui pourraient croire que je profite de l'état de santé de Johnny pour faire le buzz, que mon roman était déjà en écriture en 2015 !
C'est aussi pour rassurer Johnny et sa famille... et j'aimerai d'ailleurs que Johnny "a l'idée" ahahah ! de lire cette fable rockangelesque qui pourrait, j'en suis persuadé, l'amuser quelque-peu.
Angelessement votre,
Gilles G. SUNBIRD36 – le 15 octobre 17
PROLOGUE
Avant l’orage…
Une belle et chaude soirée de septembre. Pour certains, la période la plus agréable de l’année. Malgré tout, la tension est bien présente parmi la ribambelle de flics de choc encasqués, mâchoires crispées, aussi dures qu’une enclume de Maréchal Ferrant. Chacun des membres des forces de l’ordre est bardé d’un gilet pare-balles type 4, doté de plaques métalliques. À l’évidence, ils nagent dans leur sueur, dispatchés depuis des heures interminables sur toute la longueur de la rue de l’Élysée. Il faut dire que le risque d’attentats est à son maximum depuis que les troupes françaises crapahutent à nouveau dans quelques régions chaudes du continent Africain. Mais l’attentat le plus terrible, depuis le 11 septembre 2001, va néanmoins se dérouler dans quelques instants, ici même, sous les fenêtres de la République, et personne n’aurait pu prévoir ce genre d’attaque, personne de censé n’aurait pu commettre une telle horreur, se diront plus tard les fans inconditionnels de la Star du rock, abreuvés par les rumeurs abracadabrantes de certains médias friands de scandales et autres inepties.
***
Depuis la cour de l’Élysée, quasi déserte, on perçoit une petite musique classique rassurante qui filtre entre les murs du bâtiment présidentiel. Derrière les fenêtres, qui donnent sur une salle de réception éclairée par des lustres datant de la fin du XIXème siècle, des invités apprêtés aux teintes sombres, qui font penser à une flopée de corbeaux qui se serait accoquinée à quelques pies joyeuses, déambulent de groupe en groupe, picorant, au passage, un buffet de délices en tout genre, ingurgitant le must du Champagne français, sans retenue, et s’attardant à l’occasion, parfois par simple politesse, sur la pianiste obèse très stylée « Castafiore » qui se donne, corps et âme, dans une interprétation de la Nocturne op.9 No.2 de Chopin.
Un « extraterrestre », d’apparence égarée, traverse alors la réunion festive des pingouins guindés, et armés de Rolex, en direction de la sortie, ou plutôt qu’un « extraterrestre », un autre genre d’oiseau, l’allure longiligne, la démarche de loup solitaire, l’œil bleu alerte et le visage taillé à la serpe, une espèce plus proche de la famille des vautours qu’on évite d’agacer si on n’apprécie pas les méchants coups de bec. Le rebelle lunaire supporte un blouson de cuir par cette chaude soirée, et son blue-jeans râpé semble avoir été créé pour lui, même chose pour sa chemise blanche de marque, ainsi que sa fine cravate noire déliée. Le type « hors-norme » de la soirée, que personne ne s’est permis de contester, mais plutôt « zieuter » comme une bête curieuse, s’arrête un instant dans l’encadrement de la porte principale. Il ingurgite d’un trait le contenu pétillant d’une petite bouteille verte à la forme arrondie, qu’il vient de choper sur un plateau voyageur, porté avec une certaine classe par un serveur à l’évidence habitué aux soirées cocktails quatre étoiles. L’alcool, c’est pas son truc, a-t-il encore en tête… C’est plus son truc, c’est lui qui le dit. Le loup solitaire, qui se dessine à présent en contrejour, à travers le hall d’entrée aux lumières rutilantes, prend une large inspiration, lâche un rot libérateur, comme si le volatile sauvage s’apprêtait à prendre son envol vers un ciel parisien noir, piqué d’étoiles scintillantes, pareil aux milliers de bulles de Champagne qu’il vient d’ingurgiter dans quelques verres de cristal gravés du sceau de la république. Mais après une brève réflexion, un long soupir vanné, il renonce, préférant lever sa bouteille ronde en guise de salutation aux deux plantons en queue de pie plantés devant la porte, plantons raides comme des bizuths (mais pas dupes), qui ne bronchent pas d’une aile, de peur de se la faire casser. Le mâle, rock n roll, sort de sa poche, côté cœur, un Zippo en or. D’une autre poche, un reste de mégot. Il le met au coin de ses lèvres et l’allume avec cette attitude de cow-boy à qui on ne la fait pas, esquissant au passage un sourire vers les plantons, bien implantés dans leur marque, et qui ose à peine estimer cet hors la loi – discrétion assurée. Le rocker cowboy s’avance d’un pas, souffle sa fumée entre les deux manchots étriqués, et entame la descente des marches. Tranquille, il s’arrête quelques secondes au milieu de l’escalier afin de suivre, l’œil perçant et connaisseur, deux superbes jeunes femmes parées de robes noires courtes et moulantes qui, en le croisant, viennent de lui offrir leur plus beau sourire, avant de s’introduire dans le palace. Le solitaire aux yeux rieurs entend s’esclaffer, dans son dos, les jeunes cannes effarouchées et moqueuses.
— Non, résiste, se dit-il la voix discrète et éraillée, ou tu vas te retrouver avec un procès au cul comme Domino Sex Khan.
Le cowboy, en blouson de cuir, pose délicatement sa bouteille vide sur une marche et se redresse pour s’étirer.
De la cour, du pas précipité du retardataire, arrive Jack. Le ministre des transports, au look vieux séducteur gominé, est accompagné de son épouse rondelette Odette. La dame est chargée de bijoux, et son casque roux à la forme d’une boule parfaite, qui rappelle les pelotes de laine sans défaut d’antan. Jack interpelle Johnny, exhibant ses fausses dents blanches bien alignées.
— Eh ! Johnny, mon cher ami ! Tu t’en vas déjà ?
— Ben oui, Jack ! répond le rocker blasé, en terminant de descendre les marches. Le folklore de ces soirées de politicards, ça va cinq minutes. En plus, j’ai failli roupiller dans un fauteuil, juste à côté du premier de la classe. Heureusement que je sais me tenir.
Hautaine dans son tailleur Chanel saumon, Odette et son sourire coincé, de naissance, juge Johnny avec mépris.
— Heureusement qu’il ne boit plus que du Perrier, glisse-t-elle à son Jack, en désignant d’un coup de menton, la bouteille ronde que le rocker a laissée sur une marche.
La vue a baissé, certes, mais l’oreille est encore au top. Johnny relance un sourire approbateur clinquant vers la donzelle de son pote ministre. Il joue de son Zippo en or, gravé à l’effigie de son frère de cœur « Elvis », et rallume son vieux mégot récalcitrant, impassible, tel le héros célèbre des westerns spaghettis de Sergio Léone « Souvenirs, souvenirs » des seventies. Cette fois, la fumée est soufflée en direction du tailleur Chanel. Jack devrait être scandalisé – il retient un rire. Un rien agacée par la désinvolture du chanteur, ainsi que par la conduite de son ministre de mari, la dame se détourne aussi sec et prend le chemin du perron.
— D’ac ! Je comprends bien, Johnny, dit le sexagénaire qui expédie un clin d’œil, discret, alors que madame se retourne à nouveau, le sommant de le rejoindre d’un coup de menton autoritaire digne d’un dictateur sud-américain. J’envie ta liberté parfois, poursuit-il à voix basse, désignant d’un mouvement de tête le bâtiment républicain. Moi, je suis obligé de fréquenter ces crétins-là à l’intérieur, tous les jours que Dieu fait… (Johnny compatit.) De toute façon, je ne sais rien faire d’autre.
Garée dans un angle sombre de la cour, une voiture de luxe noire porte la signalétique VTC verte du ministère des transports. À l’intérieur, un chauffeur impatient, dont on ne distingue pas les traits. L’homme s’agace tout seul derrière le volant, tout en observant Johnny dans son rétroviseur qui palabre avec le ministre, à quelques mètres des marches du bâtiment. Les mains moites du chauffeur tapotent le dessus du volant, quand une sonnerie de téléphone portable « Highway to Hell » (AC/DC), résonne. L’homme angoissé inspire, prend la communication, comme s’il attendait le coup de fil de sa vie.
— Oui… Bonsoir Monsie… Pas grave, non… J’ai l’habitude… Enfin non, je veux dire… Ah… ! Ah bon… Oui… Oh… Non… Ah, merde… Non, enfin… Oui, d’accord…
De son côté, Johnny serre la main de son ami Jack et lui tapote l’épaule droite. Il retire son mégot de sa bouche et le tend vers le ministre.
— Une petite taffe, Jack ?
— Arrête ! Ne déconne pas, Johnny.
Pouffant de rire, Jack tourne sa face de môme embarrassé, prit la main dans le sac, vers sa douce et tendre qui grimace sévère du haut du perron, tel un oiseau de proie prêt à fondre sur la brebis égarée.
Un brin moqueur, l’autre oiseau de proie tire une nouvelle fois sur son misérable reste de joint, sans grand succès.
— Tu as repris la clope, mon Jo ?
— Non, cher ami. Juste un petit oinje, deux fois par an, pour digérer toute la connerie du monde.
— Je compatis. Des fois, on en a bien besoin… Mais pas quand Madame est là, confie-t-il en susurrant.
— J’imagine. C’est pas le genre, ta bourgeoise, se moque Johnny. Bon et bien, bonne soirée chez les branleurs, Jack… !
Johnny lance un petit signe cordial à l’attention de la madone perchée sur le perron. Elle détourne son air pincé sur les manchots en faction, et en profite pour leur indiquer la bouteille ronde sur l’escalier. L’un des plantons se déplace pour récupérer la bouteille, sous l’œil inquisiteur de madame la ministre.
Jack et Odette pénètrent dans la salle tandis que Johnny joue de son Zippo, et tente de ressusciter son précieux mégot. La cour est à présent déserte. À l’intérieur de l’édifice, des applaudissements retentissent sur la dernière note de musique. Un bruit de moteur puissant fait redresser la tête de Johnny. Il distingue le véhicule stationné dans l’ombre, et finit par rallumer son mégot. Il brandit un poing victorieux, suivit d’un « yeah » grave, puis se dirige vers sa moto stationnée proche de la sortie, adressant un regard admiratif vers quelques étoiles visibles, tout en palpant son « crucifix guitare » accroché autour de son cou.
Le moteur rugit. La voiture sort de l’ombre, recule à vive allure. Johnny se braque aussitôt vers le monstre de métal qui semble le charger. Il fait face, s’apprête à bondir afin d’éviter l’impact… mais son dos coince.
— Haiiii ! Bordel de… !
Le coffre de la voiture officielle le heurte de plein fouet. Le Zippo s’échappe de la main droite de Johnny, voltige vers la voûte céleste, disparaît, avalé par l’obscurité et le silence des cieux.
1
Un portillon de saloon blanc est orné de petits anges animés aux visages tristes qui interprètent quelques douces notes avec leurs petites harpes. Les visages poupons et complices voient alors approcher la silhouette de Johnny à travers une brume blanchâtre – les visages s’éclairent, les instruments se transforment en guitares électriques, le rock-n-roll est de circonstance. Arcbouté, râleur, Johnny arbore la grimace des mauvais jours. Son mégot éteint pendouille à ses lèvres. Il se tient les reins. Le tonnerre gronde. Apeurés, les petits anges, fans de rocks, reprennent leur position initiale, juste avant que le roi du rock français ne passe le portillon pour se diriger, comme par instinct, vers un comptoir aux cuivres étincelants, top clean, pareil à un hôtel 5 étoiles, se dit alors le rocker en observant le lieu empli d’une lumière divine. Affalé sur le zinc, un seul client, le dos courbé, chemise blanche et costard noir chiffonné, s’enfile une boisson, « On The Rock », en tirant sur son havane. L’endroit pourrait ressembler à un bar de luxe, mais on ne distingue aucun décor familier à ce genre de lieu. Même les murs sont absents, juste un cercle de brume épais délimite le voisinage. Néanmoins, non loin du comptoir, à la limite du mur de brouillard, un magnifique portail doré est surmonté par d’autres petits anges enjoués vêtus comme des « Elvis » miniatures, un soir de concert à Hawaï, en mémoire d’une fameuse année 1973. Johnny siffle à la vue du portique qu’il verrait bien dans sa propriété californienne. De l’arrière du comptoir se redresse alors une jeune serveuse sexy, qui fusille sur le champ le Johnny de ses prunelles bleues, en y ajoutant, en signe de silence, un doigt fin et autoritaire sur ses lèvres sensuelles peinturlurées d’or. Pour sa défense, Johnny lève aussitôt un doigt, histoire de préciser que son sifflement ne s’adressait qu’au portail garni d’anges. Mais la belle, digne héritière d’une « Bunny » d’un magazine de « Playboy » antique, en est déjà à la préparation d’un cocktail, affichant un large sourire à l’attention du nouveau venu.
Une douleur soudaine dans le bas du dos, et Johnny tire à présent une tronche de zonard de mauvais poil.
— Merde ! Faut que je retourne voir mon enfoiré d’ostéo, moi…
C’est machinal chez Johnny. Il voit un tabouret de bar, même s’il est en verre, et de couleur bleue, il s’y pose. Ça fait partie des traditions, ainsi que le sourire en retour à l’intention de la barmaid canon – sourire pincé qui dérape en une nouvelle minauderie.
— C’est quoi ici ma belle, un bordel ? lance le chanteur, fatigué du voyage.
À son tour, l’homme solitaire aux lunettes noires le dévisage, et mime un interminable « chuuuut », d’un doigt tremblotant sur ses lèvres. Il esquisse, par la même occasion, un sourire impertinent. Le pilier du bar insolite n’est autre que Serge Gainsbourg, qui rallume son havane en toisant le rocker de la tête aux pieds. C’est ensuite à Johnny de le dévisager, avec étonnement bien sûr, expression dont il abuse rarement, plutôt acclimaté à toutes sortes de délires, depuis des lustres. Il secoue la tête sans vraiment saisir la situation. Mais c’est notamment le Zippo que le type, qui ressemble à son ex-pote comme deux gouttes de whisky, tient d’une main vibrante, qui l’intrigue fortement. Surtout qu’il ne trouve pas le sien en fouillant dans ses poches. Le méfiant Johnny, qui gardait jusque-là un œil plus intéressé sur la serveuse Bimbo, s’attarde à présent sur le fumeur de havane. Ses petits yeux très bleus s’écarquillent soudain, devant ce monsieur costard noir qui mâchonne son havane avec une bille de clown des plus conciliantes. D’un index révélateur, Johnny désigne son voisin de comptoir.
— C’est toi Patrick, hein… ! Patrick Sébastien, mais oui… ! dit Johnny, fier d’avoir démasqué l’évident canular bien dans l’esprit de l’animateur vedette. Mais c’est quoi ce rade, vieux ? Un décor de télé ? Où sont planquées tes caméras ? Dans ce brouillard bidon, là ?
Un coup de tonnerre résonne. Johnny marque un temps, surpris, puis il revient vers son Patrick Sébastien imaginaire.
Un paquet de fumée s’échappe entre les lèvres du type au havane qui secoue la tête, affligé, tout en levant les yeux vers un ciel bas et cotonneux.
— Patrick Sébastien… Mais qu’est-ce que tu racontes, mon Jo ? Belle claque pour mon égo, que tu m’infliges, là… ! Ohé ! Tu ne me reconnais pas ? C’est moi, Serge !
— C’est ça, t’as raison ! Et moi, je suis Eddy Mitchell. Serge et moi, on était super pote. Je le reconnaîtrais entre mille fakes ! Tu vas pas me la faire, hein !
— Eh bien, c’est pas gagné, murmure le fumeur de havane, prenant toujours le ciel à témoin.
La serveuse, sortie tout droit de la collection de Hugh Hefner1, dépose le cocktail multicolore qu’elle vient de préparer devant le rocker. L’homme est à la limite de perdre ses moyens face à cette beauté, dont le visage, ainsi que les formes parfaites, ne lui sont pas étrangers.
— On ne s’est pas déjà vu, dite-moi ? se renseigne Johnny, mi timide mi charmeur.
1 / Fondateur du magazine Playboy.
La jeune barmaid playmate, figée, montre toutes ses dents blanches parfaitement alignées, avant de disparaître dans la purée de pois, à l’autre bout du comptoir.
— Pas trop de bagou la mutine, dit Johnny vers son compagnon de zinc.
— Elle a trop parlé, à une certaine époque. Ça lui a coûté la vie. Pas à cause de toi, je te rassure. Mais c’est arrivé plus tard avec un autre amant. Son mari junkie a fini par péter les plombs.
— Merde… Quel salopard…
— Le salopard s’est flingué juste après. Il n’habite pas ici. Ça lui fait de longues vacances, là, à ma barmaid préférée.
— Quoi ? demande Johnny, visiblement largué.
— Ben… (Serge réfléchit un moment puis fait le geste d’abandonner.) Peu importe ! C’est de l’histoire ancienne, tout ça… Avale ton verre, mon Jo. Ça te fera du bien.
Johnny tient son crâne douloureux entre ses mains. Il ramasse le cocktail offert et l’ingurgite, d’un trait. Ses yeux sondent le néant, il semble à mille lieux d’ici…
De longues secondes passent durant lesquelles Johnny perçoit le chant des petits anges, accompagné par les harpes du paradis. Le chant cesse. Il considère à nouveau son voisin de comptoir au costard froissé, bouche bée.
— Eh, ben ! Pas dégueu la « potion magique » du coin. J’avais un mal de tête pas possible, et maintenant, plus rien.
— Tout est magique ici, tu verras. Ce que tu viens de t’enfiler, c’est un cocktail de transi… Enfin, disons qu’il est adapté à ce genre de voyage.
— Quel voyage ? Je me souviens pas d’être parti en voyage.
— Je sais, mon Jo. Mais ça va te revenir.
Johnny examine son interlocuteur, avec toujours ce petit air de celui à qui on ne la fait pas.
— Tu le fais bien, le Serge, mon p’tit Patrick. On dirait vraiment mon vieux pote, là. Il me manque souvent d’ailleurs, tu sais, dit-il d’un air nostalgique, scrutant alors les alentours. Pourquoi je suis jamais venu dans ce rade, moi ? C’est plutôt cool la déco. On a l’impression d’avoir fumé un joint sans l’avoir fumé, tu vois ce que je veux dire ?
— Je vois, ricane Serge. Écoute, tout ça n’était pas possible avant… Welcome home, mon Jo !
— Avant ! Pourquoi avant… ? (Serge joue de son cigare, mimant une explication trop compliquée.) « Home », répète alors Johnny, en détaillant à nouveau le lieu insolite avec une sorte d’appréhension. Putain de merde ! Je me fais vieux… Je devais être torché le jour où je me suis pointé ici… Je connais pourtant la plupart des bars de L.A. mais… (Un autre coup de tonnerre résonne.) Ça sent l’orage ça, ou je m’y connais pas.
— Chut, Johnny ! s’agace Serge. Si tu veux passer ce portail sans pénalité, tu dois surveiller ton langage.
Le rocker hausse les épaules, s’interroge brièvement, avec la tête du type qui s’en bat les couilles. Il se déplace jusqu’au portail doré, surmonté d’un groupe de quatre petits anges musiciens, et acquiesce de la tête, peut-être par curiosité, mais à l’évidence par intérêt.
— Je confirme. Ce portail irait vraiment bien dans ma propriété de Los Angeles. Même Elvis n’en avait pas un de si chouette !
Serge, perplexe, force un rire et rallume son cigare avec le Zippo.
Le chanteur de rock tend l’oreille au déclic du Zippo. Il regarde avec mépris le type au havane qui ressemble à son ancien pote.
— Dis-moi, c’est pas mon Zippo que tu tiens, là ?
— Ici ! Ce qui est à toi est à moi ! Et inversement !
— Qu’est-ce que tu racontes, gros malin ?
— À partir de maintenant, ma maison est ta maison, Jo.
— Quoi… ? Tu veux dire qu’on va habiter ensemble ? Toi… et moi ? (Serge acquiesce à moitié. Les deux mâles sont embarrassés.) J’y comprends que dalle… Mais… on est où, là ? J’ai jamais mis les pieds ici…
— Tu ne te souviens toujours pas ?
— Je devrais me souvenir de quoi ? s’énerve Johnny, en se rapprochant du comptoir. Il s’est passé quelque chose ?
— Tâche de te souvenir. C’est important pour la suite.
— Qu’est-ce que tu racontes encore Patrick, je ne…
— Serge…
— C’est ça, SERGE… ! C’est quoi ces conneries que tu me sors, là… ?
Un nouveau grondement de tonnerre, aussi soudain que brutal, abrège les paroles virulentes de Johnny. Un brin nerveux, il ramasse son mégot sur le comptoir, le met à ses lèvres, fouille dans ses poches, alors que le type en costard noir lui tend le Zippo et déclenche la molette. La flamme est longue, bleutée, scintillante. Le chanteur de rock est hypnotisé par les teintes de la flamme, qui donnent un côté magique dans cette atmosphère immaculée et calme. Il accepte d’allumer son vieux mégot qui reprend un peu de forme et de longueur, comme par enchantement. Johnny souffle sa fumée et examine son mégot sous toutes les coutures.
— Je te l’ai dit, tout est magique ici… Alors, tu devrais te souvenir maintenant. Tu venais de rallumer ton mégot… Tu te souviens… ? Tu souviens… ? Souviens…
La voix de Serge se volatilise en écho… Lui-même disparaît bientôt aux yeux du chanteur de rock, laissant place à une lueur intense…
« …Sous l’emprise d’une sacrée putain de drogue à l’effet foudroyant », pense Johnny qui vacille et qui, à l’évidence, a perdu ses repères. Son visage est à présent marqué, tel un vieux loup des mers borné, victime d’une énième bonne cuite, et qui s’obstine à naviguer en pleine tempête, coûte que coûte… Un tourbillon de flashes colorés l’assaille alors. Des images qui émergent d’un passé révolu, lointain et trouble, agrémenté de projections de son enfance, de sa gloire des premiers jours, de ses meilleurs et ses plus mauvais moments de sa carrière… de sa vie… pour revenir, dans un ralenti-accéléré, alternatif, aux dernières secondes de la soirée à l’Elysée :
« Dans la cour de l’Elysée, Johnny se retourne sur les deux jeunes femmes qui montent l’escalier. Le ministre des transports lui serre la main, tandis que son épouse le fusille d’un regard hautain. Une flamme jaillit du Zippo – rallume son mégot. La voiture de ministre recule à vive allure : c’est le choc… le trou noir. »
Johnny vient de prendre le ciel sur la tête.
— J’ai pas rêvé ! On m’a roulé dessus… !
— Non, tu n’as pas rêvé, mon Jo, non… Vraiment désolé mon poteau, tu sais.
Sur un tabouret du comptoir, le nouvel arrivant s’effondre. Ses pensées voyagent à travers ses deux mains qui enveloppent à présent son visage en entier.
— Tu as encore mal à la tête, Jo ?
— Non, je joue à cache-cache… Ça ne se voit pas… ? (Il montre une partie de son visage défait, tête basse.) J’ai un drôle de sentiment, là, tu vois. Je suis brisé… Je suis brisé mais j’ai comme une sorte de rage qui monte, en moi… Tu comprends ?
— Je peux comprendre… Moi, je voulais juste te…
Soudain, Johnny se redresse avec une étonnante vivacité. Une étincelle dans son regard perçant fouille aussitôt les murs vaporeux.
— Ça y est, j’y suis… (Serge approuve d’un enthousiasme mesuré.) C’est la salle d’attente de l’hosto., ici ! Et je suis en plein délire ! C’est ça, en fait, hein ?
Serge fait un clin d’œil à la serveuse qui dépoussière le bar de son plumeau confectionné avec des plumes d’anges.
— Tu n’es pas resté très longtemps à l’hosto., mon Jo, tu sais.
— Ah… Ça m’étonne pas. Je supporte pas d’être cloué au pieu à rien glander.
Johnny se relève, cherchant à fuir les lieux, tournant dans l’hémicycle brumeux tel un fauve en cage. Ennuyé de voir son ami refuser ainsi l’Eden, Serge s’adresse au plafond étincelant.
— Eh ben, c’est pas gagné, là…
— À qui tu causes, encore ? demande Johnny, suspicieux.
— Écoute Johnny… Tu dois savoir une chose… Tu as tout vu, tout vécu, mais c’est fini tout ça.
Johnny le regarde de haut. À croire qu’il se prépare à administrer une grande claque à celui qu’il croit toujours être la doublure de son irremplaçable Gainsbarre.
— Qu’est-ce qu’est fini ?
— Il faut être raisonnable, tu comprends ! Tu es arrivé là où tous les humains se retrouvent un beau jour !
— « Où tous les humains se retrouvent un beau… ! » Où ça ? À l’un de mes concerts ?
— C’est terminé, Jo ! Enfin, sur cette…
— Tu déconnes ou quoi, là ? J’ai encore plusieurs dates pour cet hiver !
— Put… Bon sang… ! s’impatiente Serge. Ouvre tes mirettes ! Tu ne vois pas où on est, vraiment ?
— Si… dans le brouillard… (Serge se tape le crâne du creux de sa main.) Mais quoi ? Qu’est-ce que tu me prends la tête encore, Patrick ?
— C’est Serge d’abord… ! Eh, merd… Mince ! Bon, ma patience à des limites… ! lâche Serge, avant de s’adresser à la barmaid sexy. Eh, la Barbie ! Tourne-toi un peu, et montre-lui ce que tu as de plus beau !
Lorgnant trois secondes la barmaid Bimbo, par pur réflexe, Johnny finit par secouer la tête et détourne les yeux, vaguement troublé.
— Non, non, ça m’intéresse plus vraiment ça, dit Johnny, faisant mine de repousser cette proposition alléchante de ses deux mains. J’ai arrêté toute ces conneries, et puis…
La serveuse se retourne et, d’un geste sensuel, commence à dégrafer le haut de sa robe. Le chanteur de rock, l’œil vif, entre panique et stupéfaction, fait le yoyo entre le type au havane déguisé en Gainsbourg, et la Barbie sexy. La jeune femme laisse glisser doucement le doux tissu sur ses épaules, révélant petit à petit ses fines omoplates quand, subitement, au beau milieu de ce dos magnifique, se déploient d’adorables petites ailes angéliques, que la belle ne manque pas d’accentuer par un « poupoupidou » suave. Big surprise pour le rocker émerveillé qui reste un instant sur le cul… mais assurément pas dupe. « On ne la fait pas à un vieux routard comme moi », se dit le sceptico-maniaque.
— Tu piges maintenant, mon Jo ?
Le vieux renard indécis plisse le regard, et gratte au passage sa barbichette grisonnante. Il lève alors un doigt accusateur vers le sans-doute faux Gainsbourg.
— Ça sent le traquenard à plein nez… C’est une caméra cachée, hein ! T’as invité un magicien, Patrick ? Tu fais ça tout le temps dans tes shows pour les vieux ! ricane Johnny. Tu parles ! Elle peut aller se rhabiller ta Fée Clochette. Je marche pas là-dedans, moi.
Serge contrôle ses nerfs, et s’approche au plus près de Johnny. Il retire ses lunettes noires et le fixe droit dans les yeux.
— Tu me reconnais, là… ?
Après un sérieux moment de doute, Johnny soupire, mais ne peut s’empêcher d’admettre l’évidence.
— Serge… Mon p’tit Serge… Mon fumeur de havane préféré… (Indiquant le cigare.) C’est Dieu qui te l’a offert ou son fiston ?
Serge tente de garder son sérieux, face à un Johnny qui réalise, petit à petit, qu’il a le vrai Serge Gainsbourg devant lui. Le rocker recule alors, chancèle, et renverse par maladresse son tabouret.
— Alors… ça veut dire… Ça veut dire que je suis comme toi, Gainsbarre ! Je suis cané, c’est ça… ?
— Ben ouais, mon p’tit gars ! approuve Serge. Tu dois me suivre de l’autre côté du portail des artistes, celui qui est là, derrière… C’est la vie ça, hein… ! Enfin, c’est après…
— Ah, ouais… Vraiment…
À l’évidence, Johnny n’y croit pas encore totalement à ces histoires délirantes d’anges et de paradis. Lisant le désespoir et le doute de son pote rocker, Serge accentue son sourire, et se reprend avec davantage de peps, tel un acteur de pub qui vante un produit et qui en fait des tonnes.
— Bref ! Écoute ça… ! Tu sais qui m’a fait rentrer au paradis, moi, hein ? Tu ne vas pas le croire ! Je t’assure ! Tu ne vas pas le croire… ! (Le rocker reste impassible.) Eh bien, c’était Brel… ! Brel, mon Jo ! Tu imagines ? Plutôt super cool, pas vrai ?
Johnny est à mille lieux des mots de Serge qui se veulent, sans nul doute, des plus réconfortants. Il s’affale sur le comptoir, accablé, terrassé par cette funeste nouvelle.
— Écrasé par la caisse d’un ministre, dit-il dans un soupir. J’ai du mal à y croire, là… C’est quoi cette mort… minable ?
— Ça ou autre chose, tu sais… Quand c’est son heure…
— Et les filles… J’ai même pas dit au revoir aux filles… et mon fiston, c’est pas possible ça… pas possible…
— C’est sûr que… quand ça te tombe dessus, ce n’est pas vraiment prévu dans ton agenda.
Rempli de colère, Johnny frappe de ses deux poings le zinc chatoyant. Il se redresse d’un bond et quitte son siège.
— Moi, c’est sur scène que je dois finir ! Comme Shakespeare !
— Molière, comme Molière, corrige Serge.
— Eh ! Ne crâne pas toi, hein ! réplique le rocker en dressant un doigt autoritaire, et théâtral, vers son pote du temps jadis.
Pour sa part, Serge réalise que l’ange novice, qu’il est censé accueillir, se dirige à présent d’un pas déterminé vers la sortie du bar, se noyant peu à peu dans une brume épaisse.
— Eh ! Où vas-tu, Johnny ?
Pour toute réponse, Johnny indique le sol d’un geste du pouce et disparaît bientôt totalement, avalé par les vapeurs nuageuses.
Serge rallume son cigare, comme si de rien n’était, se sentant tout de même un peu seul, tout en zieutant les alentours avec une certaine appréhension.
Après d’interminables secondes, le ciel s’illumine. Une tornade glaciale se propage. Les battants de la porte de saloon claquent. Serge rentre sa tête entre ses épaules, soulève le col de sa veste, mince protection contre le froid intense qui a envahi soudain l’accueil du Paradis. Un flash violent se produit derrière le comptoir. La tornade cesse, subitement. À la place de la serveuse, vient d’apparaître une silhouette en salopette blanche. Mains jointes, regard sévère, tête haute, Coluche est là – tel un « maître » face à son incapable serviteur.
— Là, mon Serge, t’as déconn… (Coluche met sa main devant sa bouche et se corrige.) T’as pas assuré, là ! Mais pas du tout, alors !
— Le gaillard en a toujours fait qu’à sa tête !
— Ouais, ouais… ! J’le connais le Johnny, tu parles… Mais ici, c’est plus pareil, hein !
— Ben, je ne sais pas mais…
— Ne cherche surtout pas d’excuse, mon p’tit Serge ! Surtout ! Tu vas me faire le plaisir de me le ramener ici, illico presto, le gaillard ! Vu… ? exige le Coluche autoritaire, avant d’ajouter, un rien confus, à l’oreille de Serge. Tu comprends bien. Sinon, « Il » va me convoquer là-haut et je vais me faire drôlement enguirlander.
— Tu crois vraiment ?
— Oh, ben oui, alors ! Tu n’imagines même pas une seconde comme « Il » peut être « soupe au lait », des fois.
Un grondement de tonnerre résonne dans l’atmosphère qui s’assombrit quelque-peu. Coluche s’excuse d’un signe timide auprès du « Tout Puissant » puis il fait un geste à l’attention de Serge afin qu’il quitte les lieux. Après quelques jérémiades, le Serge se lève, dos voûté, l’allure paresseuse. Il tire une bouffée de son havane, s’encourage. Un véritable chevalier de la table ronde s’apprêtant à partir dans sa quête du Saint Graal – en l’occurrence, son vieux pote Johnny…
— Bon ben alors, j’y vais, hein ! Pas le choix, dit Serge, toujours en geignant, avant d’ajouter. Dis, Michel, tu me mettrais pas un petit dernier whisky, pour la route ?
L’archange en chef vérifie l’ardoise de Serge sur une tablette blanche, décorée de fines ailes. Il compte les croix du jour.
— Ah, ben ! Désolé, mon Serge. Tu as déjà largement dépassé ta ration du jour !
— T’es sûr ? Je croyais que le jour, la nuit, y’en avait plus, ici… et que…
— Serge… ! Tu peux déposer plainte, si tu veux. Ce n’est pas moi le boss, tu sais bien. Et puis, on ne te l’a pas déjà dit de ne pas fumer cette saleté ici ? Tu pourrais en tenter quelques-uns, et ce n’est pas le genre de la maison, si tu vois ce que j’veux dire.
— Ouais ! C’est pas l’Enfe… (L’archange fait un chut rapide.) Bon, ok ! Et je vais où pour le fumer ? T’es marrant, toi.
— En tous cas, au bar, c’est interdit.
— Tu parles d’un paradis, hein !
— Si tu veux faire un p’tit tour au sous-sol, avec certains de tes petits camarades d’antan. Tu as juste à faire une réclamation en bon uniforme à la direction.
— Ouais… C’est que… Je n’supporte pas les fortes chaleurs… C’est le problème.
Coluche essuie des verres pour les ranger sur une étagère.
— T’as raison, le froid ça conserve… ! Allez mon grand, au boulot !
Serge fait la moue, grommelle, hausse les épaules en se dirigeant à son tour vers la sortie.
— Bon sang d’bonsoir, ça me tue ça… Qu’est-ce qui me fait, le Jo ? C’est pas Dieu possible…
— Eh ! Mon Ange ! Arrête de râler là, et presse-toi un peu, hein ! (La porte du saloon grince fortement.) Bon Di… Mon Dieu ! Voilà que ça lui reprend, à celle-là… Y’a personne pour graisser cette satanée porte, ici ? Où qu’il est le mécano du général, là… ? Faut tout faire soi-même, enfoiré. C’est pas Dieu possible… bordel !
Le tonnerre gronde à plusieurs reprises, opacifiant aussitôt le lieu divin. Coluche s’excuse d’un signe de croix rapide et biscornu.
— Ouais, je sais, il est terrible ! conclut-il en imitant le rocker rebelle.
2
En ce dimanche après-midi, le tonnerre gronde sur une cité miteuse du nord de Paris. Une pluie diluvienne arrose une petite file de blousons de cuir avachis, alcoolisés et brailleurs, qui s’engouffrent dans une salle de concerts ressemblant à un bâtiment en démolition. À l’affiche, posée de travers sur d’anciennes affiches, à côté de l’entrée de la salle, on peut voir le portrait d’un chanteur au look ringard, vêtu d’un cuir blanc à la « Elvis ». Le nom du groupe est éclairé par intermittence par deux néons défectueux : « Micky Bilbao et les Kamikazes. »
À l’intérieur des murs humides et décrépits, la petite salle est remplie au tiers de sa capacité. Parmi le public, certains spécimens flirtent avec la démence, usant sans modération du cannabis ou autres psychotropes, de véritables loques humaines perchées sur des échafaudages instables, laissés en place au fond de la salle, en attente d’un ravalement plus que nécessaire. Du plafond, lézardé de toutes-parts, s’écoulent quelques minces filets d’eau causés par la forte pluie. Sur la scène, « Micky le chantueur », comme on le surnomme parfois, depuis qu’une vioque de soixante piges a claqué lors d’un de ses concerts chez les péquenots bretons. Entouré par des musiciens au look baroque qui, comme lui, ont passé la quarantaine, le Micky reprend les tubes de son ex-idole Johnny, face à une foule à cran, à l’évidence en manque du roi du rock disparu. Après un morceau aussi endiablé que caricatural, se voulant à l’évidence être un mixte de Johnny et d’Elvis, le ruisselant Micky se risque à enchaîner sur une chanson plus romantique de la star française disparue, ce qui a aussitôt pour effet de faire fondre en larmes une bonne partie des gros durs éméchés de la salle.
***
Une lumière blanche, intense et multicolore, se dissipe, laissant place à un ciel bleu voilé par la longue trainée d’un avion volant à haute altitude, et sur lequel Johnny ouvre les yeux, mégot fumant au coin des lèvres. Il réalise qu’il est allongé sur le sol, découvre autour de lui la cour de l’Elysée, à l’endroit même où il s’est fait écraser, à la différence que, cette fois-ci, d’après l’astre éblouissant qui pointe haut dans le ciel, il est au beau milieu de la journée. Le rocker rassuré esquisse un sourire, se redresse sans effort, le poids de son corps n’est plus du tout un handicap. Il ne ressent plus aucune douleur, comme s’il venait juste de ressusciter et, par la même occasion, de retrouver un corps de jeune homme.
« C’est pas un putain de vrai miracle, ça ? » pense le roi du rock français, alors que dans son dos une poignée de photographes excités mitraillent des officiels qui débarquent sur les lieux, et qu’une voiture avance vers Johnny qui, par réflexe, roule sur le côté, l’évitant de justesse.
— Mais, bordel ! Lâche-t-il, furieux. Y’a que des chauffards dans ce… !
Il s’interrompt aux pieds d’une jolie femme aux cheveux rouges, couleur qui se marie très bien avec son tailleur du même ton. Le rocker apprécie sans conteste les superbes jambes de la belle. D’un bond, sûrement la conséquence d’une jeunesse retrouvée, le « Nouvel Homme » se retrouve sur ses deux jambes. « Une pêche à faire pâlir un kangourou », se dit-il. En se gardant tout de même d’en faire trop, face à cette féline à la crinière de feu.
— Excusez-moi, demoiselle. Ce n’est pas vraiment dans mes habitudes de me jeter aux pieds des dames sans…
La jeune « rougequine », qui manipule l’écran tactile de son portable, ignore l’idole des jeunes, d’un autre âge, qui la dévisage à présent d’un regard vaporeux, la mâchoire tombante.
Armé jusqu’aux dents d’un blanc éclatant, un séducteur de compète se pointe. Un vrai tueur, style beau brun ténébreux, que peu de femmes pourraient supporter… de rater. Malgré une bonne quinzaine d’années de plus qu’elle, l’élégant dans sa chemise blanche et son costume noir de marque, prend la gracieuse sous le bras pour l’entrainer aussitôt vers le perron, sous le regard dubitatif, et un brin envieux, de Johnny.
— Je me suis pris un vent, là, ou quoi… ? lance-t-il d’un ton rebelle vers le beau couple qui n’a pas daigné lui adresser le moindre regard. Ce petit péteux de merde avec son costard à vingt mille €uros, et sa donzelle en tailleur Chanel, ça pue l’emploi fictif à des kilomètres.
Une voix interpelle Johnny qui termine de secouer son blouson de cuir poussiéreux, avant de réajuster sa fine cravate.
— Même ton plus grand fan ne pourrait te répondre, mon Jo, résonne une voix éraillée.
Surpris, Johnny se retourne vers l’homme qui tire une bouffée de son cigare. Il reconnait celui qui se fait passer pour un ange. Le Serge sans aile s’est assis en tailleur sur le toit d’une voiture officielle, en toute discrétion. Le « ressuscité » se rapproche de son pote d’autrefois.
— Dis-moi, t’es du genre discret, toi ! dit Johnny en hochant la tête. Qu’est-ce que tu fais là ?
— Je fais mon job. Je veille sur toi, grand dadais !
L’ex star du rock s’interroge une seconde sur le job de son pote disparu. Il jette un dernier coup d’œil vers la jeune féline et son vieux tombeur. Son air de cowboy songeur navigue ensuite sur toute la cour. Il fronce les sourcils et dévisage une fois encore le Serge perché sur la voiture. Il s’aperçoit que personne, parmi le personnel, les invités et autres journalistes, circulant dans la cour, n’a remarqué le retour original de Gainsbourg parmi les vivants.
— Eh, ben merde… marmonne Johnny. Tu vas pas me dire que je suis devenu comme toi. Un putain de fantôme, hein ?
D’un sourire en coin, le vieux Serge tire sur son cigare, et remet sa mèche rebelle en place d’un coup de tête en arrière. Il souffle la fumée du havane et approuve.
— Manque plus que ton p’tit drap blanc, tes grosses chaînes rouillées et ton boulet.
— Ce serait pas toi le boulet, plutôt ?
D’un geste, le pouce de Serge s’enflamme comme par magie, sans douleur apparente, et lui sert de briquet pour rallumer son éternel cigare.
— Zippo est mort, Jo. Tout ce qu’on fera ici à présent, c’est déjà mort.
Johnny grimace de douleur à la vue du pouce en feu.
— C’est ça, ouais, réplique le Johnny railleur. J’ai déjà vu ça cent fois dans des tonnes de films, mais on n’est pas au cinoche là, ok ! On est dans la réalité ! Alors, tu me prends pas pour un con, s’il te plaît !
— Cette réalité n’est plus la tienne, vieille canaille. Va falloir t’y faire, et vite.
Un brouhaha et Johnny se retourne vers l’escalier. Arrive alors un troupeau compact de photographes qui se précipite dans sa direction.
— Ah ! Et ceux-là mon pote ! Ils ne me voient pas, peut-être ? À moins que j’aie affaire à une bande de morts-vivants !
Serge ricane doucement à la vue de son ami qui écarte des bras accueillant face aux photographes. Une large banane éclaire le visage du rocker.
— Salut les gars ! C’est bien la première fois que je suis aussi content de vous voir !
Johnny réalise vite que les reporters ne ralentissent pas leur course, alors qu’ils sont presque à sa hauteur.
— Oh ! Doucement les gratte-papiers, ou je colle un pain à chacun d’entre vous ! Espèce de sous-développés de… !
Aucune réaction du groupe à la menace de Johnny, tandis que certains d’entre eux traversent le corps du rocker de part-en-part, afin de rejoindre un mannequin célèbre qui prend déjà la pose sous le porche d’entrée. Johnny palpe son corps par réflexe, puis il se tourne vers Serge et sa bouille de gamin malicieux, qui roule son havane entre ses doigts.
— Faut te rendre à l’évidence, mon Jo. Tu ne fais plus la « Une » des journaux.
Serge quitte le toit de la voiture pour se rapprocher de Johnny qui peine à se remettre du choc.
— T’as vu ça ? Ils me sont passés à travers le corps !
— Ces journaleux ne respectent plus rien… (Johnny ne semble pas apprécier cette note d’humour.) Bon ! Allez, tu viens… ? On va prendre un dernier canon. Après, faudra y aller… Tu m’offres un coup dans ton troquet préféré, si tu veux, mon Jo… ?
D’un coup de pouce en flamme, Serge rallume le mégot du rocker qui se montre d’un calme exemplaire. Certes, un tant soit peu déboussolé, il ne réalise pas encore tout à fait la triste réalité.
— Tu sais que j’ai arrêté de fumer, mon vieux Serge ?
— Je sais… moi aussi j’ai arrêté.
Serge tire une bonne bouffée de son havane et souffle un nuage de fumée vers le ciel.
***
Le concert touche à sa fin dans la salle délabrée de la banlieue nord. Micky est ovationné telle une idole. Certains spectateurs, saturés de gnole et de substances hallucinogènes, luttent contre leurs congénères, et contre eux-mêmes, en enjambant les fauteuils afin d’atteindre la scène dans l’espoir de rejoindre l’hypothétique futur roi du rock. Décochant des coups d’œil inquiet vers ses musiciens, Micky s’empare du micro et commence à calmer la foule de gestes explicites, en terminant une cannette de bière, qu’il lance ensuite sur le troupeau de bestiaux en approche, un net signe affectueux envers ses quelques nouveaux fans en perdition dans une mer de vomis.
— Merci… Merci à tous… C’est trop… ! Vous êtes trop cool, les mecs ! Pour moi ça a été un plaisir énorme de vous faire plaisir, en interprétant les chansons de l’autre… de votre ex-idole Johnny… ! (L’audience l’acclame par des hurlements et des sifflets.) Merci pour lui… ! leur répond Micky en dressant un doigt ambigu vers le ciel, ainsi qu’une moue faussement émue, pour adresser ensuite un clin d’œil moqueur vers ses musiciens restés en back stage. On ne t’oubliera jamais Johnnyyyy… ! rajoute-t-il, en complétant d’un bras d’honneur vers le ciel, devant ses compagnons embarrassés, certainement atteint lui aussi par les effets des substances de toutes sortes qui se sont propagées à travers toute la salle… Et maintenant, fini avec les conneries ! Je vais vous montrer ce que ça vaut un vrai chanteur de rock bien vivant ! Mon dernier tube : « L’aigle s’est envolé » c’est… pour l’autre enfoiré, qui doit pourrir à l’heure actuelle en enfer !
Un silence de mort s’installe dans la salle. Malgré les doses de stupéfiants et d’alcools ingurgités, le public en reste figé, ne sachant comment prendre la chose, ou sans doute parce toutes les informations n’ont pas atteint la majeure partie des cerveaux embrumés. Les musiciens du groupe attendent le signal de leur leader, eux-mêmes figés telles des statues de cire du musée Grévin.
Micky s’interroge, quelques secondes interminables, se sentant tout de même un peu seul sur scène. Il jette un œil vers son bassiste qui commence alors à gratter quelques notes. De retour face à son public, Micky rote alors un bon coup, avorte d’un bref rire embarrassé, et entame sa chanson. Les paroles, plus qu’ordurières à l’égard du rocker défunt, finissent par faire son effet. La foule des tarés se déchaîne soudain, commence par arracher quelques fauteuils, pour tenter de les balancer vers le chanteur traître à leur cause. Panique à bord, le groupe s’échappe bientôt par les coulisses avec guitares, saxo et autres instruments. Seul Jet, le batteur rondouillard cradingue, cheveux bruns épais et longs, s’enfuit avec ses seules baguettes.
La porte de l’entrée des artistes s’ouvre, claque contre un mur qui s’effrite, tandis que Micky et ses musiciens quittent le navire à la dérive, pour se retrouver dans une ruelle sombre, glauque, envahie de poubelles gorgées de détritus, que se dispute une famille de rats batailleurs. Les « Kamikazes » s’abritent sous un porche, histoire de se protéger d’une pluie battante. Fred, le guitariste aux longs cheveux blonds et gras, au visage émacié, qui semble être né shooté avec son expression « bouche bée », quasi permanente, se tourne mollement vers le chanteur du groupe.
— Je savais, Micky, tu sais. Je savais tu sais qu’on n’aurait pas dû faire ça là, encore, et…
— Écoute, on a voté Fred, non ? On savait très bien les risques qui…
— À ce niveau, c’est plus que des risques… ! tente de s’énerver Fred. Avec ces lourdingues nourris par que du Johnny 24 heures sur 48, depuis proche de soixante-dix piges, ça pouvait que terminer en eau de bougnoul ! Et puis, « l’autre enfoiré qui doit pourrir en enfer », ça, ça, ça, c’est la goutte qu’à fait noyer le… (Il cherche son mot.)
Tous les musicos se considèrent, cherchant à l’évidence une chute à la formule inachevée de leur pote Fred. Jet s’ouvre un « kinder-bueno » et se l’enfile d’une seule bouchée. Un vague sourire en coin, en jugeant Fred, Micky fait le geste de laisser tomber.
— Ouais, je sais les gars ! J’étais super top « inspired », ce soir !
— Quoi ? Tu dis quoi, là ? relance le Fred, sa bouche en cul de poule.
— Rien, mon Freddo, oublie ça, soupire Micky. Et puis, c’est pas « eau de bougnoul mais eau de boudin », ok ?
Fred fixe le chanteur du groupe, le sonde, analyse des paroles qui lui paraissent sortir tout droit d’une sorte d’hyper-espace. Micky secoue la tête avec son petit rictus désespéré habituel, quand il converse avec ses potes musicos, et en particulier avec Fred.
— Micky, mon poteau, tôt, je te préviens… (Micky s’interroge, perplexe, essayant de décrypter les échanges avec son copain, dont le cerveau fonctionne avec un sérieux ralenti.) Si on continue… comme ce soir qu’on a fait, dans cette salle… de merdique… je… je… je… !
Fred cherche à nouveau ses mots. Ses yeux rougeoyants indiquent son besoin express d’une recharge de batterie.
— Quoi, JE… ?
— Je les ferai plus tes « soirées Johnny » ! s’énerve, un quart de seconde, Fred. Plus question ! Nada ! Finido ! Terminade !
— T’es vraiment trop branque, toi ! Et comment on va bouffer, alors ? Tu veux retourner bosser au « Carrefour Market » naze, de ton bled de nazes ?
— Oh no no, pas le « Carrefour Marqué » naze, surtout pas… Mieux vaut plutôt que crever… !
Micky grimace en toisant son partenaire, réalisant, une énième fois, qu’il ne s’y habituera jamais, et qu’il faudra bien un jour larguer cette bande de branquignols qui lui sert de musicos, s’il veut devenir la véritable Star du rock qu’il mérite d’être, depuis de longues années d’injustes galères.
— C’est ça, Freddo… C’est ça…
— Quoi encore ça c’est… ? réplique Fred d’une main folle qui tournoie au-dessus de son crâne avant d’ajouter. Et puis, Mick, on a des très très bonnes chansons pas trop mal, hein ! Suffit de trouver notre… s’interrompt le prospecteur des mots.
— « Public ? », termine Micky. (Fred acquiesce d’un sourire niais.) Gros malin, va. Si tu sais où il est notre public, alors vas-y ! Je te suis !
— Eh ! Et ben… Ben…
— Et ben, voilà, Freddo ! Tu sais pas ! Comme d’hab. !
Très chevelu comme ses potes, la tignasse blonde épaisse et frisée, les moustaches à la gauloise, Denis le saxophoniste semble deux fois plus cradingue que son confrère Fred. Son corps long et fluet se rapproche de Micky et Fred pour indiquer le bout de la ruelle de son pétard mouillé, qu’il maintient entre deux doigts tremblants.
— Eh, les « Kamikazes » ! Ça sent la big embrouille de ce côté ! Si on s’tirait !
À peine a-t-il prévenu ses compagnons, que Denis prend ses jambes à son cou. Le gaulois du groupe n’est certes pas le digne descendant de Vercingétorix, comme se plaisent à le surnommer régulièrement ses amigos. Sachant qu’il doit traîner ses cent kilos, Jet lui emboite le pas et, déjouant les lois de la gravité, il prend une sérieuse avance sur ses compagnons de galères, tandis qu’à l’autre bout de la ruelle, un groupe de rockers belliqueux, munis de battes de base-ball, et de matraques en tout genre, arrive droit sur eux, s’entrainant au passage à la frappe sur la famille de rats malheureux, planqués entre les ordures, répandues sur le sol trempé.
À son tour, son clavier sur les épaules, bien emballé dans sa valise, le jeune Bug, qui ressemble à un petit collégien intello avec ses cheveux courts, ses lunettes rondes et roses, et son long manteau noir, sort de l’entrée des artistes avec cet air étonné qui ne le quitte quasiment jamais.
— Eh, ben ! Où ils sont les gars, Mick ?
— Par-là, désigne d’un coup de tête le chanteur, tout en surveillant « la horde sauvage » qui approche.
— C’est notre public ça ? s’étonne Bug en remontant ses lunettes embuées sur son petit nez rond.
— Plus maintenant ! Là, ils sont aussi teigneux que cons, ces putains de rockers.
Marchant à reculons, Micky ne quitte pas « la horde sauvage » des yeux, avant de faire demi-tour pour prendre ses jambes à son cou, suivi par le petit jeunot du clan « Kamikazes » qui peine à courir sous le poids de sa valise clavier.
— Attends-moi Mick ! C’est lourd !
— Fallait être chanteur, mon p’tit Bug ! Démerde-toi !
Fin - Extrait "Rockangeles"
Commentaire client sur Amazon
4,0 sur 5 étoilesjohnny etoile du ciel
Parfleurs46le 20 décembre 2017
Je viens de terminer le livre de Gilles Geffray " Rockangeles ".. Mon ressenti est celui d' une lectrice enthousiasmée par ce livre.. Cette lecture nous améne dans une aventure folle, avec des clins d' oeil à " Ghost" et à l' univers HITCHKOCKIEN... Nous nous trouvons très vite, dans une autre dimension, avec un final des plus surprenants..Le langage populaire est malgré tout, très recherché.. Beaucoup d' inventivité.. Plusieurs phrases d' auteurs parsèment habilement le livre.. Il y a beaucoup d' humour, de vérité sur le sens de la vie.. L' émotion est présente également.. C' est un livre sur l' amitié et le coté guignolesque de la vie.. On en ressort guéri un temps sur l' angoisse de la mort.. Bref, un livre à lire.. De plus, dans l' air du temps, avec la disparition de notre " idole".
5,0 sur 5 étoilesUne belle découverte!
15 avril 2018
Format: BrochéAchat vérifié
J'ai découvert ce livre il y a quelques semaines et malgré un emploi du temps chargé, je l'ai dévoré. D'un point de vue général, j'ai beaucoup aimé le côté "BD", c'est très imagé, les personnages sont "découpés" et attachants. Et ce rapport avec l'actualité est troublant.
J'aime aussi cette façon de traiter le côté paranormal, de façon tout à fait naturelle et humoristique.
J'ai très envie maintenant de découvrir les autres romans de cet auteur.